OSTROGOTHIQUE (ART)

OSTROGOTHIQUE (ART)
OSTROGOTHIQUE (ART)

Les connaissances linguistiques et archéologiques actuelles ne peuvent ni infirmer ni corroborer les traditions sur l’origine des Goths, recueillies en Italie auprès des Ostrogoths par Cassiodore et Jordanès, au VIe siècle après J.-C. Comme les Burgondes ou les Vandales, les Goths seraient originaires de Scandinavie, région qu’ils auraient quittée pour s’installer sur les rives méridionales de la Baltique, à la hauteur de la Pologne.

Avec Pline et Tacite, les Goths entrent dans l’histoire. À la fin du Ier siècle après J.-C., on sait qu’ils se trouvaient dans le nord-est de la Germanie, avant de s’établir en Ukraine au milieu du IIe siècle, avec leur roi Filimer. Cavaliers semi-nomades, ils constituèrent un vaste État qui, vers le milieu du IIIe siècle, s’étendait au nord de la mer Noire, des Carpates au Don, avec une culture fortement influencée par celle des Sarmates et des Iraniens. C’est alors que la «nation» gothique se scinda en deux groupes, les Ostrogoths et les Wisigoths, dénominations apparaissant à la fin du IIIe siècle dans l’Histoire d’Auguste .

Dès les années 230, les Goths atteignirent le Danube et furent de ce fait en contact direct avec le monde romain. Après une succession d’expéditions guerrières par terre et par mer, qui les conduisirent dans la partie orientale de l’Empire, ils se stabilisèrent dans l’ancienne Dacie romaine (Roumanie actuelle) où, durant près d’un siècle, ils furent les alliés de Rome. C’est au cours de ce long séjour qu’ils embrassèrent le christianisme par le biais de l’hérésie arienne, diffusée par l’évêque wisigothique Ulfila, à qui l’on doit la traduction en gothique du Nouveau Testament, associée à l’invention de l’écriture gothique. Tout cela devait contribuer à la naissance du particularisme national et culturel des Goths, face à la romanité catholique orthodoxe.

L’arrivée des Huns, en 375, devait être lourde de conséquences pour les Goths. Tandis que les Wisigoths et quelques Ostrogoths choisissaient la fuite dans l’Empire, la majorité des Ostrogoths demeura au nord du Danube et accepta le protectorat des Huns. Après la chute d’Attila (454), les Ostrogoths conclurent avec l’Empire d’Orient un foedus (traité), qui fut renouvelé à plusieurs reprises. Le foedus de 461, déterminant pour l’avenir des Ostrogoths, fut garanti par le séjour comme otage à Constantinople du jeune fils du roi Thiudemer, Théodoric, âgé de huit ans. Celui-ci, le futur Théodoric le Grand, y demeura neuf ans (jusqu’en 470) et bénéficia d’une éducation romaine à la cour impériale. Devenu roi en 473, il négocia auprès de l’empereur Léon l’installation de son peuple en Macédoine. Les Ostrogoths y furent instables, tandis que les rapports entre Théodoric et l’empereur étaient fluctuants. Aussi Zénon décida-t-il d’éloigner les Ostrogoths en les chargeant d’éliminer le roi des Skires, Odoacre, qui avait déposé en 476 le dernier empereur romain d’Occident, Romulus Augustule.

Théodoric pénétra en Italie en 489 et, après une suite d’opérations militaires, il soumit Odoacre en 493 et s’empara de la péninsule. Ayant fixé sa capitale à Ravenne, il organisa avec habileté son royaume italien, se conciliant les Romains par le respect qu’il témoignait envers leur civilisation. Seul l’arianisme constitua une note discordante, face à l’Église catholique. Cet État, en apparence solide et viable, ne reposait en fait que sur la forte personnalité «romaine» de Théodoric et ne devait guère survivre à sa mort, en 526. Sa succession posa de nombreux problèmes jusqu’au moment où, en 536, l’empereur d’Orient Justinien décida la reconquête de l’Italie. Celle-ci, menée par les généraux byzantins Bélisaire, puis Narsès, s’acheva en 552 (mort du dernier souverain ostrogothique, Téia), quelques points de résistance subsistant jusqu’en 561. Ces vingt-cinq ans de guerre «civile», succédant à près de trente ans de paix ostrogothique, donnèrent le coup de grâce à ce qui restait du principal foyer de la civilisation antique occidentale.

L’art ostrogothique avant sa «phase italienne»

Les vestiges archéologiques rencontrés dans les territoires où les Goths séjournèrent durant les premiers siècles de notre ère (plaine germano-polonaise, puis Ukraine à partir du milieu du IIe siècle), quand on peut raisonnablement les imputer à cette «nation» germanique, ne permettent pas la mise en évidence d’une culture matérielle gothique originale. Tandis que des importations de produits de luxe romains (vaisselle, bronzes) témoignent de l’aisance de certaines couches de la société gothique, d’autres objets (céramiques, fibules, peignes, etc.) illustrent la participation des Goths à la culture matérielle de la Scandinavie méridionale, également commune à d’autres groupes germaniques.

Le vaste État formé par les Goths à partir du IIIe siècle dans le sud de l’Europe orientale, des Carpates au Don, coïncide sensiblement avec l’aire de diffusion d’une culture matérielle homogène, que les archéologues soviétiques ont dénommée «culture de face="EU Caron" アernjahov» (du nom de la nécropole découverte en 1899 près de Kiev). Cette culture, dont les prolongements sont manifestes jusqu’au Ve siècle, ne saurait cependant être tenue pour spécifiquement gothique. En effet, ainsi que les recherches de M. Kazanski l’établissent, la culture de face="EU Caron" アernjahov fut commune aux Goths, qui en furent l’élément moteur, aux populations autochtones qu’ils dominèrent (Scytho-Sarmates, Géto-Daces, Slaves) et aux divers peuples germaniques qui firent alors partie de la puissante fédération gothique (Vandales, Hérules, Gépides). Cette culture, aux variantes régionales nombreuses du fait de son emprise géographique et de la diversité des peuples qui y participèrent, offrait deux principaux traits unificateurs: de fortes influences provinciales romaines (vaisselle de luxe, équipements guerriers, parures) ainsi que des particularismes indigènes identiques (types d’habitations, coutumes funéraires, céramique commune façonnée à la main, modes vestimentaires, etc.). L’arrivée des Huns en 375, si elle consomma la partition territoriale des Goths, n’eut pas sur le plan culturel les conséquences désastreuses qu’on lui prêtait jadis: ces nomades asiatiques avaient en effet besoin, d’un strict point de vue matériel, des cultures sédentaires qu’ils dominaient. On s’explique ainsi que la culture de face="EU Caron" アernjahov ait pu perdurer dans les territoires où les Ostrogoths demeurèrent sous le protectorat des Huns.

On a longtemps pensé que le séjour durable des Ostrogoths sur les rives septentrionales de la mer Noire avait été décisif pour l’avenir de leur art, tant était riche le passé artistique de ces régions où les influences grecques puis romaines s’étaient mêlées à des composantes «barbares» iraniennes, scythes et sarmates. Des études soviétiques (en particulier celles d’A.-K. Ambroz) ont montré en fait que l’installation des Ostrogoths en Crimée, où s’était épanoui le royaume du Bosphore, alla de pair avec la disparition de certaines formes d’art qui s’y étaient développées, comme l’orfèvrerie polychrome (combinant granulations et filigranes avec des pierres en cabochons ou en bâtes, plus rarement cloisonnées). C’est au contraire dans le bassin du Danube inférieur et notamment dans l’ancienne Pannonie romaine (Hongrie actuelle) qu’il convient de rechercher, comme on le propose aujourd’hui, les antécédents les plus directs de l’art italo-ostrogothique. Devenues le centre de gravité de la puissante fédération dominée par les Huns, fédération à laquelle divers peuples germains orientaux participèrent (dont les Ostrogoths), ces régions connurent durant la première moitié du Ve siècle l’extraordinaire développement d’un nouveau style polychrome, bien distinct de celui qui avait caractérisé la Crimée jusqu’au début du IIIe siècle. Celui-ci, notamment illustré par les célèbres découvertes de Pietroasa et Apahida en Roumanie (Musée historique de Bucarest), fut d’abord marqué par des semis denses de pierres plates et de cabochons en bâtes, pour voir ensuite la rapide prédominance de fins réseaux de pierres cloisonnées, les grenats apparaissant comme le matériau favori. L’origine de ce style coloré, souvent discutée, ne serait pas les régions du Pont-Euxin ou le monde oriental, mais plutôt les zones du bassin méditerranéen sous influence byzantine. Il semble en tout cas assuré que c’est à partir du foyer pannonien et danubien que cette orfèvrerie polychrome fut diffusée en Occident et réintroduite dans l’ancien royaume du Bosphore, où elle ne retrouva jamais cependant sa splendeur passée. Vers le milieu du Ve siècle, à côté des productions cloisonnées dont les prolongements en Occident allaient s’étendre jusqu’au VIIe siècle, la Pannonie est le point de départ d’un nouveau style, également promis à un bel avenir et qui fut aussitôt diffusé tant vers l’Occident qu’en direction de la mer Noire: il s’agit de l’orfèvrerie moulée (argent et bronze), dérivée des productions provinciales romaines tardives, qui obtient, en fonderie, des motifs imitant la taille biseautée (spirales et volutes en particulier).

S’il est le plus souvent impossible de donner une attribution ethnique précise à ces productions pannoniennes et danubiennes du Ve siècle que les Huns et leurs alliés germaniques orientaux affectionnèrent tout particulièrement, quelques accessoires vestimentaires d’argent moulé (plaques-boucles et fibules à décor de volutes, de spirales, de chefs d’oiseaux et de monstres) paraissent bien imputables aux Ostrogoths car ils sont les prototypes évidents de leurs productions italiennes. C’est également à cette phase pré-italienne de leur art qu’il convient enfin de rapporter deux types d’objets de parure qui seront caractéristiques des Ostrogoths et qu’ils contribueront à diffuser en Occident: d’une part des fibules ansées asymétriques dites «gothiques», à tête demi-circulaire et pied rhomboïdal, dont le type apparaît en Russie méridionale au IVe siècle chez les Goths (exécutées en tôle d’argent et ultérieurement ornées selon les techniques du style coloré); d’autre part des fibules représentant un aigle dont le corps et les ailes sont vus de face et le chef à bec crochu de profil, avec une riche ornementation cloisonnée.

La phase italienne de l’art ostrogothique

Deux facteurs généraux doivent être présents à l’esprit quand on aborde l’étude de l’art ostrogothique en Italie: le fait que les Ostrogoths, comme d’autres «nations» germaniques établies dans l’Empire romain, furent une minorité, et la nature éphémère de leur royaume, qui ne permet guère de suivre plus de cinquante ans (c’est-à-dire deux à trois générations) l’évolution de leur art.

On estime approximativement à 100 000 âmes le nombre des Ostrogoths qui pénétrèrent en Italie en 493, dont environ un quart étaient des guerriers. C’est dire que ces nouveaux venus connurent une dispersion géographique nécessaire pour des raisons militaires et politiques, même si leur implantation concerna surtout l’Italie du Nord (sauf la région alpine) et le littoral de l’Adriatique. Cela explique l’assimilation rapide des Ostrogoths dont l’aristocratie, notamment urbaine, fut l’élément moteur. À côté de modes vestimentaires masculines (fibules cruciformes des dignitaires romains) et féminines (divers types de bagues et de boucles d’oreilles) «romaines», l’une des manifestations les plus spectaculaires, et aussi les plus regrettables pour les archéologues et historiens de l’art, fut sans doute l’adoption quasi systématique par les Ostrogoths de la coutume romaine de l’inhumation sans mobilier funéraire. Il est de ce fait fort difficile d’identifier leurs nécropoles dont on ne connaît qu’une trentaine, ayant seulement livré une cinquantaine de sépultures à mobilier. Celles-ci concernent uniquement des femmes de rang social élevé dont les parures sont, avec quelques trésors, les seuls témoins des arts mineurs ostrogothiques en Italie.

Durant la fin du Ve siècle et le premier tiers du VIe, l’orfèvrerie ostrogothique demeure fortement marquée par l’héritage pannonien et danubien, qu’il s’agisse de plaques-boucles moulées d’argent doré à plaques rhomboïdales ou de fibules «gothiques» cloisonnées. Le style coloré connaît alors un remarquable épanouissement, avec des pièces cloisonnées de grenats exceptionnelles: trésor de Domagnano (San Marin, au British Museum de Londres et au Germanisches Nationalmuseum de Nuremberg); ou encore garnitures de la selle de Ravenne (disparues du Musée national de cette ville). Au début du VIe siècle apparaissent des fibules ansées asymétriques en argent moulé, avec tête cantonnée de cinq digitations et pied rhomboïdal s’achevant par un chef de monstre, le décor étant à base de volutes et de rinceaux. On peut encore mentionner des plaques-boucles de ceinture en argent doré à plaque rectangulaire dont le cartouche central, orné de cabochons en bâtes, est entouré de frises végétales ou géométriques.

Autant qu’on en puisse juger d’après les découvertes archéologiques, les pièces d’orfèvrerie de la fin du royaume ostrogothique (deuxième tiers du VIe siècle) sont à la fois moins nombreuses et plus modestes. Cela s’explique sans doute par les progrès de l’assimilation culturelle des Ostrogoths (apparition des décors «méditerranéens» de tresses) et par la précarité de leur situation politique et militaire.

On ne saurait être complet sans mentionner la production, probablement en Italie ostrogothique, de remarquables casques d’apparat dont une trentaine sont connus en Europe occidentale. Comme pour les pièces majeures d’orfèvrerie, c’est sans doute à des artisans romains, travaillant pour le compte des Ostrogoths, qu’il convient d’attribuer ces armes défensives de fer et de bronze doré au décor repoussé et d’inspiration chrétienne fréquente.

Si l’orfèvrerie tient la première place quand on aborde l’art italo-ostrogothique, on ne saurait pour autant oublier le rôle que les Ostrogoths jouèrent, en la personne de Théodoric, sur le plan de l’urbanisme, de l’architecture et du décor monumental. Romain d’éducation et de cœur, Théodoric, de même qu’il avait conservé l’essentiel de l’organisation politique, administrative et juridique de l’Italie romaine tardive, souhaita restaurer la civilisation romaine, dont les villes avaient été le cadre privilégié, par de vastes programmes architecturaux à Rome, à Spolète, à Pavie, à Vérone et surtout à Ravenne, sa capitale: il s’agissait non seulement de relever les ruines des monuments publics, mais aussi de construire des palais, des églises, des thermes, des amphithéâtres, etc. Les descriptions contemporaines, ainsi que quelques monuments subsistants, malgré leurs transformations plus ou moins profondes (Saint-Apollinaire-le-Neuf à Ravenne, ancienne église palatine), ne témoignent pas d’un art monumental original, mais de l’imitation souvent réussie des modèles byzantins (notamment pour les revêtements de marbre et les mosaïques). Le mausolée de Théodoric, à Ravenne, s’il marque l’aboutissement de cette politique architecturale grandiose, n’en demeure pas moins un monument particulier sur lequel on continue de s’interroger, en invoquant des influences éventuelles de pays de la Méditerranée orientale; il pourrait aussi être l’œuvre d’un architecte oriental ayant travaillé en Thrace, en Syrie ou en Terre sainte.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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